Quand la nature aide l’agriculture, petites histoires qui se jouent dans nos champs #6 : les collemboles
Sixième épisode de notre série consacrée à la vie sauvage qui se joue secrètement dans nos champs de céréales. Aujourd’hui, place aux tout petits, ceux qui peuplent nos sols : les collemboles. Discret habitants de nos champs, ils participent activement à la fertilité de la terre en décomposant les feuilles et autre matière végétale.
A l’enterrement d’une feuille morte, deux escargots s’en vont… Ceux qui connaissent ce poème de Jacques Prévert savent que quand les escargots arrivent (enfin !), il est trop tard ! La feuille morte qui s’est posée dans le champ est entièrement décomposée. Cette scène se déroule chaque jour, sous nos yeux, dans les champs cultivés de Marc Lefebvre à Guînes.
Ne cherchez pas là l’œuvre du ver de terre, il n’a pas de mâchoire, ni même du champignon qui préfère le sol acide et humide des forêts. Un coup d’œil dans une loupe et on découvre que des animaux microscopiques (entre 0,4 et 8 mm) peuplent le sol et sa surface. Il s’agit d’acariens, de mille-pattes, de petits cloportes, de vers blancs, de petits insectes aussi, et parmi tout ce monde, quelques individus se font remarquer par leur capacité à sauter sitôt qu’ils sont dérangés : les collemboles !
« Puces » des pots de fleurs
Si Collembole il y a dans les champs de Marc Lefebvre, c’est notamment parce que cet agriculteur à l’esprit curieux, fin observateur de son environnement agronomique et écologique a fait un choix particulier : réduire son usage de produits chimiques en fonction de la présence des auxiliaires de cultures. Dans sa démarche il est accompagné par le Parc naturel régional et des scientifiques et universitaires, dont l’université catholique de Lille. Dans la faune sauvage, si les rapaces ou encore le renard sont bien présents dans notre imaginaire, c’est rarement le cas pour le collembole.
Et pourtant, des collemboles, on en a tous vus, sans même savoir que c’en était. Ce sont nos fameuses « puces » des pots de fleurs, celles confondues parfois avec les parasites de nos animaux domestiques. Ces petits animaux blancs qui sautent sont des collemboles de l’espèce Folsomia candida, espèce présente dans certaines animaleries, vendues comme nourriture pour les petits poissons.
Petits mais super résistants
Les collemboles sont donc petits, ont six pattes articulées comme les insectes, mais ils ont un petit quelque chose en plus : un appendice en forme de fourche qui leur permet de sauter. Ils possèdent aussi un colloblaste, organe à l’origine de leur nom, qui leur permet de se « coller » au substrat (la terre).
Redoutablement résistants, les collemboles se retrouvent partout, des glaciers les plus gelés aux déserts les plus arides, des montagnes les plus élevées, où leurs excréments accumulés peuvent produire des sols de plus d’un mètre aux grottes les plus profondes où aucune autre espèce animale ne peut survivre.
Quand Bouboule entre en scène
Et parmi des dizaines d’espèces de collemboles, il y a les symphypléones surnommés « bouboules ». Ils sont caractérisés par un abdomen en forme de sphère, surmontés d’une tête conique. Ils présentent souvent de belles couleurs, du jaune, du rouge, du vert, du violet, peut être en fonction du milieu dans lequel ils vivent et se nourrissent. Car, contrairement à de nombreux collemboles, les symphypléones préfèrent vivre à la surface du sol et non sous le plancher des vaches. Certains préfèrent même la surface de l’eau.
Quel rapport avec l’agriculture et les champs de Marc Lefebvre ? Alors, c’est sûr, « Bouboule » n’a pas vraiment l’aspect d’un redoutable prédateur, comme les rapaces ou les renards qui chassent sans relâche les campagnols. Néanmoins, les services que le collembole rend à l’agriculteur sont immenses : il dégrade les matières, recycle et fabrique un fabuleux compost. Bouboule aime toute matière organique qu’elle soit vivante ou morte, du vermisseau aux résidus ultimes de votre compost, il ne fera pas beaucoup de différence. Dans son intestin, mycélium et spores de champignons, fibres de cellulose, restes de petits animaux et des produits de la digestion de bactéries sont indistincts. Indifférent aux basses températures, le collembole fait son office en toute saison et dans tout terrain possible, jusqu’au plus tondu des jardins.
De l’évacuation de nos déchets à l’élimination des organismes pouvant attaquer nos cultures ou notre santé, Bouboule ne chôme pas et nous pouvons lui être reconnaissant de ne pas être envahis d’acariens et de nématodes. Mais, pour réaliser ce travail, le collembole a besoin de feuilles mortes, et donc de la proximité des arbres. Sa présence dans les champs de Marc Lefebvre s’explique notamment par les nombreuses haies bocagères en bordure de champs.
Cette histoire de collemboles nous rappelle que sous nos pieds, dans les sols, une biodiversité incroyable vit et s’épanouit. Cette vie est aussi essentielle que celle de la surface, que pour la protéger, planter des arbres et des arbustes reste encore la méthode la plus efficace.