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Quand la nature aide l’agriculture, petites histoires qui se jouent dans nos champs #2 : les araignées

Deuxième épisode de notre série consacrée aux animaux sauvages qui viennent en aide aux agriculteurs en régulant les ravageurs de culture. Aujourd’hui, libérons-nous de nos peurs en faisant connaissance avec les araignées. Celles-ci se régalent de bon nombre d’insectes suceurs de sève.

On les croit opportunistes, prêtes à manger tout ce qui se prend dans leurs toiles. Pourtant, les araignées, en termes de menu gastronomique, savent faire les difficiles. La proie ne doit être ni trop molle, ni trop morte, ni même inerte. Il leur faut une proie vivante, sautillante ou virevoltante ! Et en cela, les insectes qui dévorent les champs de céréales semblent tout à fait appropriés.

C’est ce qu’a montré un travail d’étude réalisé lors du programme Agrotrames II à Guînes. Durant les étés 2022 et 2023, un inventaire des araignées a été réalisé sur les parcelles de Marc Lefebvre. Depuis plusieurs années, cet agriculteur cherche à réduire l’utilisation de produits phytosanitaires et de s’appuyer sur les forces de la nature (comme les araignées) pour réguler les ravageurs de cultures. Dans les champs de Marc Lefebvre, les aranéologues Sylvain Lecigne et Théalie Dellesme, ont dénombré pas moins de 116 espèces d’araignées différentes, dont 13 considérées comme rares.

Des haies pour abriter les araignées

Il faut dire que les araignées ont de quoi se plaire chez Marc Lefebvre. L’agriculteur a planté quasi 10 km de haies bocagères, dans et autour de ses champs, des habitats très appréciés par ces dames à huit pattes. Dans les cultures, le peuple des araignées est représenté par seulement 6 espèces, alors qu’on peut en trouver jusqu’à 16 dans les haies de 10 ans et les jeunes bandes boisées. Et plus il y a d’araignées différentes plus la chasse aux ravageurs est efficace. Les araignées chassent de manière très complémentaire (par leur toile, au sol, à l’affût…) et s'attaquent à de nombreuses espèces de ravageurs en même temps.

Alors, qui sont ces ravageurs ? On les nomme cicadelles (Cicadellidae), thrips (Thysanoptera), altises (Alticinae) et pucerons (Aphididae). Ce sont des parasites des plantes, ils les piquent et leur sucent la sève. Mais, face aux araignées, ces parasites devront affronter de vraies machines de guerre. Les araignées vivent environ deux ans (contre deux semaines pour le puceron), résistent à la famine et à la sècheresse. Elles sont actives dès que les conditions sont favorables, en première ligne pour chasser du ravageur de culture.

Preuve en est, notamment, avec les lycosides (appelées également araignées-loups). Les études montrent que dans les champs de cultures, les pucerons constituent 25 % de leur régime alimentaire. 20 % des araignées-loups prélevées dans un champ de colza ont des restes d’altises dans leur estomac. Quatre autres familles sont réputées consommer du puceron.

Des toiles sur la moitié d’un champ de blé

Les araignées peuvent également contribuer à réguler les pics de population de ces ravageurs car elles capturent et tuent souvent plus de proies qu'elles n'en consomment. Différentes études scientifiques (Kajak (1978), ou encore Riechert & Lockley (1984)) rapportent qu'une araignée à toile observée à la loupe en laboratoire est capable de tuer jusqu'à 50 fois le nombre de proies qu'elle consomme !

Et leur présence est parfois impressionnante. Chez des araignées comme Tenuiphantes tenuis et Erigone atra, qui consomment des pucerons sur le blé, les toiles en nappe peuvent couvrir jusqu’à la moitié de la surface d'un champ (jusqu’à 10 cm au-dessus du sol).

Les araignées n’assurent pas ce boulot de régulation seules, elles affaiblissent les colonies de pucerons. D’autres prédateurs, comme les carabes (des coléoptères prédateurs) ou les opilions (appelés aussi « faucheurs ») mènent des actions complémentaires contre les ravageurs. Ces derniers sont bien moins difficiles avec ce qui est mou et inerte et apportent leur petite pierre à l’édifice en s’attaquant, entre autres, aux œufs de limaces, mais aussi aux escargots et limaces adultes… Un peu gluant mais appétissant !

Après deux années d’études sur les araignées, ces bêtes à huit pattes s’avèrent, comme souvent, mal-aimées. Elles font l’objet de peurs et de fantasmes, alors qu’elles nous aident à protéger les champs qui nous nourrissent. La plantation de haies et de bandes fleuries, la pratique de la fauche tardive, du paillage, et le maintien de plantes sauvages et de plantes messicoles (plantes qui « aiment » être moissonnées) sont des pratiques à étudier pour favoriser la présence de ces alliées naturelles. Il s’agit là non seulement de protéger nos cultures, mais aussi, en cherchant à réduire l’usage de produits phytosanitaires, de préserver la ressource en eau.

À gauche : Neriene clathrata, femelle. Au milieu : Clubiona comta, femelle. A droite : Pisaura mirabilis, femelle (photos : S. Lecigne)

Le geste de l'habitant pour accueillir les araignées

Ajouter du paillis au jardin, dans le potager, au pied des massifs de fleurs ou des arbres favorise leur présence car il fournit abri et humidité, comme les tas de bois. Pour diminuer de manière significative les dommages causés aux légumes, en Chine par exemple, les agriculteurs construisent des abris en paille ou en bambou pour les araignées, puis déplacent ces abris dans les rizières en proie à des épidémies de ravageurs. Cette méthode pour accueillir un nombre plus important d'araignées aurait permis de réduire de 60 % l'utilisation de pesticides (Riechert & Bishop 1990 ; Marc et al. 1999).